La catathrénie : des lamentations nocturnes méconnues
La catathrénie est un trouble du sommeil se caractérisant par des lamentations survenant la nuit, semblables à des grognements. Sans être une pathologie, ce trouble peut néanmoins entrainer des plaintes car les bruits nocturnes peuvent déranger les autres personnes présentes dans la pièce au moment où ils surviennent. Afin de mettre en avant ce phénomène rare et peu connu des somnologues, le Pr Isabelle Arnulf a initié une revue de la littérature scientifique sur la catathrénie. Cette étude est menée par le Dr Quentin Martel, pneumologue responsable de l’unité sommeil à l’hôpital Saint Joseph, qui suit également quelques patients catathréniques dans le cadre de son activité. La SFRMS a pu l’interviewer dans le cadre de la publication de la revue dédiée à la catathrénie dans le journal Sleep Medicine Reviews en juin 2024.
L’étude de la catathrénie est très récente, la première description remonte à 1983 et le mot n’est apparu qu’au début des années 2000. Ce néologisme a été composé à partir des racines grecques kata, qui signifie “en bas”, et threnia “se lamenter”. L’épidémiologie de la catathrénie est complexe. Comme ce trouble n’entraîne pas de plainte, il passe inaperçu car non-reporté aux instances médicales. Certaines études retrouvent une légère somnolence chez les catathréniques mais pas de désaturation en oxygène pendant la nuit. La catathrénie est souvent remarquée par l’entourage du dormeur car les sons émis peuvent atteindre 70 décibels, autrement dit le bruit d’une salle de classe bruyante. Ce son émis par le dormeur est un phénomène actif, impliquant les cordes vocales. Des études menées en centres du sommeil évaluent aux alentours de 0,5% la prévalence de la catathrénie, ou plutôt des catathrénies.
Les catathrénies à la loupe
En effet, ce phénomène peut être divisé en deux catégories. D’un côté, la catathrénie classique est la plus fréquente. Elle se manifeste au cours du sommeil paradoxal. Elle est reconnaissable en polysomnographie par la présence de clusters sans désaturation avec des durées variables. Le pattern classique est une inspiration maximale, suivie d’une expiration. Cette expiration est coupée par un plateau pendant lequel surgit le grognement. Une grande capacité pulmonaire est donc mobilisée pendant une catathrénie. Elle se différencie en polysomnographie de l’apnée centrale où le plateau apparaît entre deux cycles respiratoires et non au milieu de l’expiration.
Le son émis est proche d’un grognement ou un geignement. À noter que plus la nuit avance, plus les stades de sommeil paradoxal sont riches en catathrénies.
La seconde catégorie est quant à elle semblable à un ronflement expiratoire. Cette forme est beaucoup plus courte et beaucoup plus rythmée. Elle n’est pas cantonnée à un stade précis du sommeil.
Ces deux catathrénies se distinguent ainsi d’autres pathologies du sommeil et elles doivent être donc différenciées des apnées du sommeil, des parasomnies avec cris et de la somniloquie. En particulier, la somniloquie est beaucoup plus anarchique en termes de survenue au cours du cycle respiratoire.
Des causes mystérieuses
Il est difficile aujourd’hui de déterminer les éventuelles causes de la catathrénie. Une piste provient d’une étude menée grâce à des réponses recueillies sur le réseau social Facebook. Les résultats indiquaient que les individus pratiquant la natation avaient plus de probabilités d’être catathréniques. L’hypothèse serait alors que si l’on considère la catathrénie comme une parasomnie, les nageurs revivraient leurs séances d’apnées pendant leur sommeil. Une cause génétique serait également possible mais elle resterait alors pour l’instant indéterminée. La catathrénie est un phénomène bien décrit d’un point de vue acoustique et polysomnographique mais ses causes et sa pathophysiologie restent méconnues.
Étudier la catathrénie est nécessaire car sa compréhension permettrait de mieux appréhender le fonctionnement de notre corps pendant le sommeil. Cela permettrait notamment de mieux saisir le fonctionnement des centres respiratoires cérébraux pendant le sommeil.
Le pneumologue Quentin Martel s’intéresse aussi à des expériences qui viseraient à provoquer une catathrénie, pour mieux appréhender ce phénomène méconnu et analyser son éventuel aspect de parasomnie. Il envisage par exemple de faire effectuer des manœuvres respiratoires à des personnes catathréniques et d’observer ensuite si ces perturbations de la ventilation se traduisent ou non par une augmentation des catathrénies les nuits suivantes.
Des traitements encore peu efficaces
La PPC est parfois utilisée mais n’est pas un traitement efficace contre la catathrénie car elle n’a pas d’effet au niveau des cordes vocales, trop rigides. D’autres praticiens recommandent la pose d’une orthèse d’avancée mandibulaire mais également avec un très faible niveau de preuves. De façon générale, de nombreuses thérapies classiquement utilisées pour traiter les troubles du sommeil sont testées pour lutter contre la catathrénie mais aucune n’a pour l’instant fait preuve d’une réelle efficacité. Pour l’instant, seule la théophylline a eu un effet observable contre ce trouble nocturne. À l’inverse, l’oxybate de sodium est une substance chimique utilisée pour traiter les symptômes de la narcolepsie et qui peut déclencher une catathrénie. Des études sur cette substance et ses antagonistes permettraient sans doute de comprendre quels mécanismes sont en œuvre dans l’apparition de ces lamentations nocturnes. Toutefois, le très faible nombre de plaintes pour catathrénie rend difficile le lancement d’études et d’essais visant à soigner ce trouble.
Quentin Martel incite néanmoins les personnes souffrant de catathrénie à se rapprocher d’un centre du sommeil, ne serait-ce que pour les identifier et les répertorier. Même si aucun traitement n’est pour l’instant efficace, des essais ne pourront être montés qu’avec une solide base de patients catathréniques. Par ailleurs, discuter avec un médecin du sommeil peut amener à trouver des solutions cas par cas pour prendre en charge la catathrénie, évaluer sa sévérité et diminuer les désagréments causés. Grâce au dépistage, patient·es et médecins ont le pouvoir de faire progresser nos connaissances sur ce trouble encore méconnu qu’est la catathrénie.