Depuis 3 ans le Pr Damien Léger (Paris, Vice-Président de la SFRMS) et le Dr Claude Gronfier (Lyon, Président du groupe de travail ANSES) ont collaboré avec une quinzaine d’autres experts nationaux et internationaux à l’analyse de la littérature récente et à la rédaction d’un rapport majeur sur les effets sanitaires du travail de nuit. Ce rapport confirme les effets délétères du travail de nuit sur la santé et recommande d’en limiter le recours. Voici le communiqué de l’ANSES qui a accompagné sa sortie.
L’Anses a été saisie pour évaluer les risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires atypiques, en particulier au travail de nuit, régulier ou non. Cette expertise met en évidence des risques avérés de troubles du sommeil, de troubles métaboliques, et des risques probables cancérogènes, de troubles cardiovasculaires et de troubles psychiques chez les travailleurs concernés. Les enquêtes sur les conditions de travail réalisées auprès de salariés en horaires de nuit indiquent généralement des facteurs de pénibilité physique et des contraintes de travail plus présents.
Dans ses conclusions, l’Agence estime que le recours au travail de nuit peut se justifier pour des situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique. Elle préconise cependant l’optimisation des modes d’organisation du travail de nuit, afin d’en minimiser les impacts sur la vie professionnelle et personnelle des salariés. Elle souligne que tout ce qui réduit la désynchronisation des rythmes biologiques et la dette de sommeil est a priori favorable. Des recommandations organisationnelles précises, qui ne font pas toutes l’objet d’un consensus scientifique, doivent également être étudiées collectivement dans les instances de dialogue social appropriées. Les résultats de cette expertise ont vocation à éclairer utilement ces discussions, tout comme celles qui seront issues du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s actuellement en cours d’examen au Parlement.
Aujourd’hui, un nombre important de travailleurs est concerné par des horaires et rythmes de travail dits « atypiques ». Sont notamment concernés le travail posté, lorsque les salariés forment des équipes différentes qui se succèdent sur un même poste de travail sans jamais se chevaucher, et le travail de nuit, exercé entre 21 heures et 6 heures (sur horaires fixes et alternants).
En 2012, la population concernée par le travail de nuit, habituel ou occasionnel, représentait 3,5 millions de personnes, soit 15,4 % des salariés. Le travail de nuit concerne divers secteurs d’activité. Il peut être mis en place pour assurer la continuité des services d’utilité sociale (services de santé, astreintes des policiers, autres services de surveillance, etc.), ou être une modalité d’organisation du travail (entreprise qui souhaite maximiser la rentabilisation de ses équipements en faisant travailler machines et hommes par rotations 24 heures sur 24).
Les salariés qui travaillent la nuit sont généralement soumis à̀ des facteurs de pénibilité physique plus nombreux, une pression temporelle plus forte (horaires, contraintes de rythmes, délais, etc.), des tensions avec leurs collègues ou le public plus fréquentes. Toutefois, les caractéristiques organisationnelles et les conditions du travail de nuit peuvent varier, notamment d’un secteur d’activité à l’autre, pouvant diminuer ou amplifier les effets du travail de nuit sur la santé des salariés.
Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a étudié l’impact de cette organisation du travail sur le risque de cancer, l’amenant à ajouter le travail posté qui induit la perturbation des rythmes circadiens à la liste des agents « probablement cancérogènes » (groupe 2A) en 2007. En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) a également publié, en 2012, des recommandations de bonnes pratiques pour la surveillance des travailleurs postés et/ou de nuit.
Dans ce contexte, l’Anses a été saisie par la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) afin d’évaluer les risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires atypiques, en particulier ceux soumis à un travail de nuit, régulier ou non. L’avis publié ce jour rend compte de l’évaluation des risques sanitaires auxquels sont exposés les professionnels exerçant leur activité en horaires de nuit. Ce travail sera complété d’un second volet concernant les effets sur la santé potentiellement liés aux autres formes d’horaires atypiques de travail.
Des effets sanitaires avérés, probables et possibles
Les conclusions de cette expertise confirment les risques pour la santé liés au travail de nuit. Celui-ci est en effet susceptible de générer des effets sur la santé des travailleurs du fait de perturbations des rythmes biologiques. Lors du travail de nuit, il se produit une désynchronisation entre les rythmes circadiens calés sur un horaire de jour et le nouveau cycle activité-repos/veille-sommeil imposé par le travail de nuit. Cette désynchronisation est aussi favorisée par des conditions environnementales peu propices au sommeil : lumière du jour pendant le repos, température en journée plus élevée qu’habituellement la nuit, niveau de bruit plus élevé dans la journée, rythme social et obligations familiales.
Ainsi, les résultats de l’expertise mettent en évidence des effets du travail de nuit sur la santé, avec différents niveaux de preuve scientifique :
- les effets sur la somnolence, la qualité de sommeil et la réduction du temps de sommeil total, et le syndrome métabolique sont avérés ;
- les effets sur la santé psychique, les performances cognitives, l’obésité et la prise de poids, le diabète de type 2 et les maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde) sont probables ;
- les effets sur les dyslipidémies (concentrations trop élevées de certains lipides dans le sang), l’hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, sont possibles.
Considérant le cancer, l’expertise conclut à un effet probable du travail de nuit sur le risque de cancer. Il existe notamment des éléments en faveur d’un excès de risque de cancer du sein associé au travail de nuit qui serait dû aux perturbations des cycles biologiques. L’expertise souligne l’existence de mécanismes physiopathologiques qui peuvent expliquer les effets cancérogènes liés aux perturbations des rythmes biologiques.
Le travail de l’Agence montre également que la fréquence et la gravité des accidents survenant lors du travail de nuit sont généralement augmentées.
Des facteurs modulateurs
Toutefois, les effets du travail de nuit sur la santé des salariés qui y sont soumis ne sont pas univoques et systématiques. Ils dépendent en effet d’un ensemble de facteurs issus des caractéristiques individuelles (chronotype), sociales et familiales (possibilité d’organiser sa vie sociale et familiale) des salariés, et des caractéristiques du travail et de la situation de travail.
Ces multiples facteurs peuvent diminuer ou amplifier les effets du travail de nuit sur la santé des salariés.
Les recommandations de l’Agence
L’Agence rappelle tout d’abord le principe premier de suppression des dangers auxquels sont exposés les travailleurs, dans le cadre des principes généraux de prévention des risques posés par le code du travail.
Au vu des résultats de son expertise, l’Agence estime que le recours au travail de nuit peut se justifier pour des situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique (hôpitaux, services d’utilité publique, etc.).
L’Agence préconise l’optimisation des modes d’organisation du travail de nuit, afin d’en minimiser les impacts sur la vie professionnelle et personnelle. En particulier, tout ce qui réduit la désynchronisation et la dette de sommeil est a priori favorable, mais des recommandations organisationnelles précises, qui ne font pas toutes, à ce jour, l’objet d’un consensus scientifique, doivent être étudiées collectivement dans les instances de dialogue social appropriées.
L’Agence recommande également de réaliser un état des lieux des pratiques de terrain visant à protéger la santé des travailleurs de nuit (durée maximale quotidienne de travail, temps de pause, repos quotidien minimal, repos compensateur ou encore suivi médical,…).
Par ailleurs, le cadre réglementaire en vigueur devrait être adapté à la protection de la santé des travailleurs de nuit, et le cas échéant, évoluer, en considérant la dimension européenne. L’Agence souligne que la continuité de l’activité économique n’est pas définie à ce jour dans la réglementation.
Enfin, l’Anses préconise d’évaluer l’impact sanitaire des effets du travail de nuit (nombre de cas pour chaque pathologie potentielle dans la population des travailleurs), et d’évaluer les coûts sociaux associés au recours au travail de nuit (arrêts de travail, maladie professionnelle, absentéisme, etc.) au regard des bénéfices potentiels.
Retour sur les recommandations sur le travail posté et de nuit
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