Insomnie et Hyperéveil :
Vers une approche thérapeutique personnalisée
En France, 20 à 30% de la population souffrent d’insomnie(1). Pour près de 10% de la population, la forme est grave, c’est-à-dire que l’insomnie est chronique, survenant plusieurs fois par semaine, et qu’elle a un retentissement notable sur le bon fonctionnement quotidien. Malgré cette prévalence élevée de l’insomnie et son impact important en termes de problèmes de santé et d’utilisation des soins de santé, ce trouble reste sous-diagnostiqué et sous-traité chez les patients.
La SFRMS (Société Française de Recherche et Médecine du Sommeil) souhaite rappeler que la recherche dans le domaine de la physiopathologie de l’insomnie, et notamment concernant l’état d’hyperéveil, est un champ primordial à explorer. En effet, la caractérisation des rôles respectifs des différents mécanismes de l’éveil permet l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques pour le traitement des troubles du sommeil et tend vers un développement de thérapeutiques de plus en plus personnalisées.
Les conséquences de la privation de sommeil
Le sommeil ne permet pas seulement de récupérer ; en tant que composante majeure, unique et indispensable de notre santé et de notre bien-être, il est indispensable au développement cérébral ou encore pour assurer certaines fonctions métaboliques. La durée moyenne recommandée de sommeil d’un adulte au-dessous de laquelle il est dangereux de descendre est d’environ 7h par nuit(2). Pourtant, le rythme de vie effréné qui caractérise les sociétés occidentales engendre une pression sociale dictée par la performance et la productivité, qui prolonge les périodes d’éveil. Ainsi de plus en plus d’adultes, et en particulier de jeunes adultes, dorment moins de 6 heures par jour en semaine (35% chez les 18-35 ans)(3). Cette privation de sommeil a des conséquences néfastes sur la santé.
En effet, même si les effets sont variables selon les individus, la privation de sommeil, qu’elle soit volontaire ou non, a un impact important sur l’organisme et ce, même après une seule nuit. Si les troubles de l’humeur sont les premiers symptômes à se manifester, des études ont notamment démontré qu’il existerait un lien entre le sommeil trop court et l’obésité, le diabète de type 2, l’hypertension artérielle et d’autres maladies cardiovasculaires. Et toutes les expériences de privation de sommeil réalisées chez l’animal sont malheureusement dramatiques : un animal que l’on empêche de dormir meurt rapidement.
Conséquences physiologiques d’un sommeil insuffisant :
– des troubles de la concentration
– des troubles de la mémoire
– des troubles de la coordination motrice
– des troubles de la vision
– une baisse de l’efficacité du système immunitaire : quatre fois plus de risque de contracter un virus (4)
– plus d’appétit et une diminution de l’impression de satiété
– un risque accru d’obésité et de diabète (+25 à 30%) (5)
– un risque accru d’hypertension artérielle (+80%) (6)
– un taux de mortalité plus élevé : plusieurs études montrent que la mortalité varie avec le temps de sommeil selon une courbe en U, avec risque le plus modeste pour ceux qui dorment 7 à 8 heures et un risque élevé pour ceux qui dorment moins de 6 heures ou plus de 9 heures. (7)
Conséquences socio-économiques :
– Baisse de la productivité
– Hausse de l’accidentologie et de l’absentéisme.
Les mécanismes de l’éveil
// L’hyperéveil, une des caractéristiques de l’insomnie
De nombreux centres dans le cerveau permettent le maintien de l’état d’éveil, ils « réveillent » le cerveau, quand d’autres mécanismes « l’endorment ». Ces mécanismes qui régissent les phases d’éveil et les phases de sommeil ne peuvent pas être actifs en même temps. C’est la raison pour laquelle le maintien en activité forcé des centres d’éveil empêche l’activation des centres du sommeil, et par conséquent génère des insomnies.
Dans l’insomnie, l’hyperéveil peut se manifester à la fois :
– sur le plan mental, il se caractérise par une hyperactivité corticale importante, s’accompagnant de pensées qui s’entrechoquent, avec ou sans anxiété ;
– sur le plan physique, avec notamment une sensation physique de tension musculaire, une accélération cardiaque, une sensation de chaleur avec une sudation excessive, ou une modification de la conductance de la peau.
L’insomnie est le plus fréquent des troubles du sommeil ; elle se caractérise par une plainte subjective de difficultés de sommeil rencontrées lorsque la personne cherche à dormir. L’insatisfaction du sommeil ressentie peut être relative à la durée, la qualité ou à l’efficacité du sommeil. Les plaintes de sommeil peuvent impliquer une difficulté à initier le sommeil en début de nuit, à rester endormi au cours de la nuit, ou encore des réveils précoces sans avoir atteint une durée de sommeil acceptable. Ces différents symptômes nocturnes se combinent et s’accompagnent de perturbations diurnes telles que la fatigue, des difficultés de concentration, des troubles mnésiques et une détérioration de l’humeur (irritabilité, dysphorie). Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de définition unique et universelle de l’insomnie.
// A chacun sa forme d’éveil
Longtemps, l’éveil a été considéré à tort comme un état homogène. En réalité il n’y a pas un état d’éveil mais des états d’éveil. Au cours de ces dernières années, les recherches menées et les modèles développés par le laboratoire Physiologie intégrée du système d’éveil (sous tutelle de l’Inserm, du CNRS et de l’Université de Lyon), laboratoire actif au sein de la communauté de la SFRMS, ont démontré que l’éveil – qui caractérise tous les moments conscients de notre vie et représente chez l’adulte près des deux tiers du temps – est un état hétérogène ; c’est-à-dire que la phase d’éveil est différente selon que l’individu lit un livre ou pratique une activité physique, par exemple.
Avec les modèles animaux, différents types d’éveil ont ainsi pu être déterminés, notamment :
– l’éveil locomoteur, lorsque l’animal réalise un exercice physique,
– l’éveil de l’exploration, lorsque l’animal explore un nouvel environnement, par exemple,
– l’éveil anticipatoire, quand l’animal compte sur/ou attend un évènement prévisible, un repas à heure fixe, par exemple,
– l’éveil lié aux différentes motivations, telles que celle pour la nourriture ou encore celle pour l’activité sexuelle.
// Plusieurs systèmes pour faire face aux différents types d’éveil
Aussi, après avoir déterminé ces différentes formes d’éveil, l’équipe de recherche est parvenue à démontrer que suivant les différents contextes comportementaux de l’éveil, les mécanismes d’éveil impliqués sont eux aussi différents. Ainsi, l’état d’éveil est maintenu par plusieurs systèmes cérébraux, chacun d’eux régulant un aspect particulier de cet état en plus de leur tâche commune. Alors que l’on croyait ces systèmes redondants, leur existence permet en fait de faire face aux différentes exigences comportementales durant l’éveil.
« La compréhension des mécanismes qui contrôlent l’éveil dans les différents contextes comportementaux s’avère un enjeu d’importance pour appréhender les processus physiopathologiques à l’origine des troubles du sommeil et proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques plus spécifiques. Nous sommes parvenus à démontrer que pour chaque forme d’éveil, la participation des systèmes neuronaux est différente », explique le Dr Jian-Sheng LIN, Directeur de Recherche à l’Inserm.
Premières conclusions à partir de modèles animaux en cours d’expérimentation
Les travaux de l’équipe du Dr Lin s’attachent à décrypter les mécanismes centraux responsables du maintien de l’éveil et de la vigilance, avec une focalisation sur les neurones à histamine et à orexine. Les résultats démontrent que le système à orexine assure l’éveil locomoteur et joue un rôle prédominant dans le maintien de la posture, la locomotion, et tout ce qui est émotionnel. Le système à histamine, quant à lui, serait plus important pour l’éveil lié à l’exploration, mais aussi pour l’éveil lié à la motivation pour la nourriture. En ce qui concerne l’éveil anticipatoire et l’éveil lié à la motivation sexuelle, les deux systèmes agissent en synergie pour en assurer le fonctionnement.
Etant donné qu’il existe plusieurs types d’éveils dont les mécanismes de contrôle sont différents, on peut supposer que le déficit d’un système peut entraîner des troubles du sommeil différents. Par exemple, le manque d’orexine entraîne la narcolepsie alors que le déficit en histamine est une cause majeure de la somnolence. De ce fait, les approches thérapeutiques proposées aux patients doivent, elle aussi, être différentes. L’équipe du Dr Lin, en collaboration avec d’autres groupes français, a ainsi identifié un agoniste inverse du récepteur H3 à histamine, capable de renforcer la transmission histaminergique et donc normaliser la somnolence diurne excessive liée à la narcolepsie et à d’autres troubles du sommeil. Cette approche est actuellement en phase finale d’essais cliniques.
Insomnie : nouvelles perspectives thérapeutiques
Si près de 10% des Français sont atteints d’insomnie chronique, 9 % de la population consomme régulièrement des médicaments pour dormir (hypnotiques ou anxiolytiques)(8). Ces somnifères sont le plus souvent des benzodiazépines ou apparentés, qui ralentissent l’activité cérébrale mais de manière non spécifique, c’est-à-dire qu’ils inhibent le cerveau et produisent des effets secondaires indésirables.
// Piste histaminergique
L’équipe du Dr Lin teste actuellement l’hypothèse selon laquelle, au lieu d’inhiber le cerveau, il serait préférable d’aider les systèmes de l’éveil à retrouver leur propre autocontrôle, par le biais de leurs autorécepteurs. Dans ce cas de figure, l’insomnie serait due à une dérégulation des systèmes d’éveil. Puisque les neurones histaminiques contrôlent les états de vigilance et de sommeil, la nouvelle stratégie consiste donc à aider ces neurones à retrouver leur autocontrôle en utilisant les agonistes du récepteur H3 à histamine, qui freine, dans le cerveau, la transmission histaminergique en excès par une rétroaction négative. Une étude sur ce sujet est actuellement en phase préclinique.
// Piste orexinergique
Les neurones à orexine ont un rôle éveillant et inhibent la survenue du sommeil. Leur activation joue un rôle essentiel pour prévenir la survenue anormale d’épisodes de sommeil paradoxal au cours de la journée, comme c’est le cas dans la narcolepsie. On sait que chez les patients atteints de narcolepsie, les taux d’orexine dans le liquide céphalo-rachidien sont anormalement bas. Dans les expériences menées chez des souris, celles dont le gène de l’orexine a été inactivé artificiellement sont devenues narcoleptiques. Les neurones à orexine se révèlent être actifs pendant l’éveil et stimulent directement les systèmes d’éveil ; le rôle de l’orexine dans les mécanismes liés à l’insomnie représente aujourd’hui une piste intéressante à explorer. Pourrait-on réguler ce système afin de soigner des patients insomniaques en utilisant des anti-orexines ? Des études prometteuses vont dans ce sens.
// Approche non-médicamenteuse : les thérapies cognitivo-comportementales, une autre forme d’autocontrôle
Dans les insomnies primaires, la perturbation du sommeil n’est pas liée à une autre maladie : l’insomnie est la maladie. Ce type d’insomnie se caractérise par une tension somatisée et s’associe à un conditionnement négatif au fait d’aller au lit : après quelques mauvaises nuits, le patient développe une véritable angoisse d’aller se coucher, de peur de ne pas pouvoir dormir, et cette peur de ne pas pouvoir dormir ne fait que renforcer l’insomnie.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) vont agir sur les facteurs d’entretien de l’insomnie, en mettant l’accent sur les composantes psychologiques et comportementales. Leurs objectifs sont de promouvoir une bonne hygiène du sommeil, de réduire l’activation physiologique et cognitive au coucher, d’éliminer certaines habitudes néfastes au sommeil et de corriger les conceptions erronées en rapport avec le sommeil et l’insomnie.
Les thérapies cognitivo-comportementales apportent des résultats intéressants. Structurantes, elles permettent de changer l’approche que le dormeur a de son sommeil. Trouver le rythme et ajuster la durée de sommeil du patient en fonction de ses besoins permet à ce dernier de reprendre le contrôle, en dédramatisant ses croyances.
En complément des TCC, d’autres thérapies non-médicamenteuses peuvent être proposées, différentes selon le type d’hyperéveil rencontré : « En cas d’hyperéveil mental, la méditation, en permettant au patient d’apprendre à se focaliser sur une sensation, une image, la pensée du moment, et à rester focalisé sur l’instant présent sans penser au futur ni à ce qui s’est passé avant, se révèle être efficace. L’objectif est de redevenir un point et non pas une multitude de flèches », explique le Dr Sylvie Royant-Parola, médecin psychiatre spécialiste du sommeil. « Pour l’hyperéveil physique, il s’agira plutôt de permettre une prise de conscience de son corps. C’est le rôle de la relaxation, préconisée pour diminuer les tensions et ralentir la fréquence cardiaque. »
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Au regard des dernières avancées de la recherche sur la physiologie intégrée du système d’éveil, et notamment la caractérisation des rôles respectifs des différents mécanismes de l’éveil, de nouvelles perspectives thérapeutiques apparaissent, permettant alors de favoriser l’autocontrôle des systèmes d’éveil plutôt que l’inhibition du cerveau. En attendant, les thérapies cognitivo-comportementales restent le traitement de première intention dans les cas d’insomnie primaire et aussi le plus efficace. Face à un contexte sociétal où l’éveil est privilégié au détriment du sommeil et où les conséquences ne sont pas prises en compte, la SFRMS insiste sur la nécessité d’une prise en charge adaptée et personnalisée, dès l’apparition des premiers symptômes.
Références :
1 Etude conduite en 2000 par Damien Léger et ses collègues de l’Hôpital de l’Hôtel-Dieu, à Paris, sur un panel de 12 778 personnes âgées de plus de 18 ans.
2 National Sleep Foundation, 2015
3 Enquête INSV/BVA 2009 – Sommeil et rythme de vie
4 (Prather, A. A. and al (2015). Behaviorally Assessed Sleep and Susceptibility to the Common Cold, Sleep, 38,9 : 1353–1359.)
5 Capuccio et col, 2010, Singh et col, 2005
6 Faraut et col, 2012
7 (Kronholm et col 2013, Grandner et al 2010)
8 INSV-MGEN 2009
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