Actualités sur la Narcolepsie et les Hypersomnies au Congrès
Le Congrès du Sommeil propose dans son programme une session consacrée aux actualités scientifiques de l’année dans plusieurs disciplines impliquées dans la discipline du Sommeil.
Le Dr Lucie BARATEAU, neurologue à l’unité des Troubles du Sommeil et de l’Éveil, Centre de Référence National Narcolepsie-Hypersomnie du CHU Gui de Chauliac (Montpellier) a présenté les actualités dans le domaine de la narcolepsie et de l’hypersomnie.
Pour ceux qui n’ont pu assisté à la session, pour ceux qui n’ont pas pu participer au Congrès et pour tous ceux qui s’intéressent à la médecine du sommeil, le Dr BARATEAU a accepté de partager sa sélection !
Des sciences fondamentales aux données cliniques, cette année 2018 fût riche en découvertes scientifiques dans le domaine des hypersomnies. Nouveaux critères diagnostiques, données précliniques et recherche translationnelle, biomarqueurs de la somnolence et nouvelles thérapies prometteuses… voici une sélection d’articles parus dans des grandes revues scientifiques, et qui ont marqué l’année dans cette thématique !
Dr Barateau
L’origine auto-immune de la narcolepsie enfin démontrée ?
Remarquable évènement dans le monde de la recherche sur les hypersomnies : la narcolepsie a fait l’objet d’une publication cette année dans une des revues scientifiques les plus prestigieuses, Nature. Les scientifiques soupçonnent depuis des années que cette maladie est d’origine auto-immune. Un élément supplémentaire rapporté par des chercheurs suisses et allemands vient étayer cette hypothèse. Les patients narcoleptiques ont en effet un nombre accru d’un certain type de lymphocytes T, et ces cellules immunitaires s’attaqueraient aux neurones produisant l’hypocrétine. Dans cet article paru au mois de septembre, les scientifiques ont examiné des échantillons sanguins de 19 patients narcoleptiques et de 13 sujets sains, mais porteurs, comme les patients, du génotypage HLA DQB1*06:02, prédisposant à la narcolepsie. Ils ont identifié deux types de lymphocytes T (CD4 et CD8) présents en plus grand nombre chez les patients narcoleptiques. Ces travaux ouvrent de nouvelles possibilités de diagnostic précoce et facile d’accès (par un simple prélèvement sanguin), et d’approches thérapeutiques inédites contre cette maladie rare mais invalidante qui touche 0.025% de la population mondiale. En théorie, en bloquant ces lymphocytes T auto-réactifs à un stade précoce, la progression de la maladie pourrait être prévenue.
Une augmentation d’hypocrétine chez les consommateurs d’héroïne : utile chez les narcoleptiques ?
Dans une récente étude publiée dans Science Translational Medicine, des chercheurs ont révélé que des patients addicts à l’héroïne avaient en moyenne 54% de neurones à hypocrétine en plus que les sujets sans addiction. Ils ont ensuite confirmé chez la souris que les opiacés seraient à l’origine de cette augmentation. En administrant de la morphine (composé actif de l’héroïne) à des souris sauvages, les auteurs de cet article ont observé une augmentation des neurones à hypocrétine, persistant jusqu’à 4 semaines après l’arrêt de l’administration de ce composé. Ils ont alors émis l’idée que la morphine pourrait activer les neurones à hypocrétine, absents pour la plupart, mais pour d’autres silencieux dans la narcolepsie. Pour tester cette hypothèse, les scientifiques ont administré de la morphine à des modèles de souris narcoleptiques et ont fait les étonnantes observations suivantes : non seulement le nombre de neurones synthétisant ce neuropeptide augmentait, mais les symptômes de la narcolepsie (les cataplexies) disparaissaient également. Ces résultats sont prometteurs, tant dans le domaine des hypersomnies que dans celui des addictions. L’augmentation d’hypocrétine chez les souris, persistant même après l’arrêt du traitement par morphine, suggère que les humains continuent aussi à produire ce neuropeptide, même après l’arrêt de consommation d’héroïne. Ce phénomène pourrait contribuer au « craving » aux opiacés (besoin irrésistible et incontrôlable de consommer la substance). Le blocage de l’action de l’hypocrétine pourrait donc rendre plus facile le sevrage sur le long terme, en prévenant les rechutes. Par ailleurs, l’administration d’opiacés pourrait potentiellement réduire les symptômes de la narcolepsie chez l’homme, mais cette dernière supposition reste très spéculative, et bien d’autres travaux sont nécessaires avant que ce traitement (de surcroit sédatif) ne soit recommandé dans cette hypersomnie.
Et si la déficience en hypocrétine protégeait contre la maladie d’Alzheimer ?
En utilisant une imagerie PET-scan avec un traceur spécifique des agrégats amyloïde, l’équipe de l’Unité des Troubles du Sommeil de Montpellier, en collaboration avec le Centre Mémoire Ressources Recherche et la Médecine nucléaire, a démontré le rôle protecteur des taux faibles d’hypocrétine sur la survenue des dépôts amyloïdes intracérébraux caractéristiques du processus Alzheimer. Le peptide béta-amyloïde (Aβ) est l’un des acteurs pathologiques principaux de la maladie d’Alzheimer (MA). On savait déjà que dans les modèles animaux d’Alzheimer, l’accumulation des peptides Aβ est favorisée par la durée de la veille, via l’action de l’hypocrétine. Chez l’homme, il a été montré des taux élevés d’hypocrétine dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) de patients avec une MA légère à modérée, et des taux systématiquement normaux d’Aβ42 dans le LCR de patients narcoleptiques (hypocrétine déficients) âgés de 65 ans. Dans cette étude publiée très récemment dans Annals of Neurology, 23 patients narcoleptiques de type 1 âgés de plus de 65 ans ont été comparés à des sujets cognitivement sains, matchés en âge et sexe. La charge lésionnelle amyloïde, mesurée par analyse semi-quantitative au PET-scan18 F-AV-45 sur l’ensemble du cortex, était plus faible en moyenne chez des patients narcoleptiques que chez des sujets sains. Les patients narcoleptiques âgés, dépourvus d’hypocrétine, semblent donc protégés contre les dépôts cérébraux de peptides amyloïdes. Des implications physiopathologiques et thérapeutiques pourraient découler de ces résultats : les auteurs font notamment l’hypothèse que les antagonistes des récepteurs de l’orexine pourraient potentiellement avoir un effet protecteur chez les sujets à haut risque de maladie Alzheimer.
De nouveaux critères diagnostiques validés pour l’Hypersomnie Idiopathique
L’hypersomnie idiopathique (HI) est une maladie très rare, pour laquelle aucun biomarqueur spécifique n’a encore été découvert, et dont les critères diagnostiques actuels semblent insuffisamment précis. Une quantité excessive de sommeil sur les 24h représente un des critères majeurs de cette maladie, mais la distinction avec des sujets longs dormeurs, notamment chez les adultes jeunes, est parfois subtile et difficile. L’équipe de l’Unité des Troubles du Sommeil de Montpellier a proposé et validé un nouvel outil, l’enregistrement de longue durée sur 32h, permettant de quantifier cette durée excessive de sommeil, dans un article publié dans la revue Annals of Neurology. L’enregistrement de longue durée a été réalisé en conditions contrôlées et standardisées, avec abolition des repères temporels, contrôle de la luminosité, absence d’intervention humaine et repas ad libitum. Les performances de classification en terme de sensibilité (Se) et spécificité (Sp) de différents seuils de durée de sommeil ont été étudiées chez les sujets HI versus témoins et d’autres hypersomnies comorbides, pour définir les critères optimaux permettant de catégoriser les sujets. Le temps total de sommeil était plus élevé chez les HI que les témoins et les autres patients, et inversement corrélé à la sévérité de la somnolence diurne. Le seuil de 11h sur 24h utilisé actuellement pour le diagnostic d’HI montrait une sensibilité élevée mais une faible spécificité, alors qu’un seuil de 12h sur 24h montrait les meilleures performances de classification (Se 98%, Sp 91%). Le meilleur seuil pour discriminer patients HI et témoins était de 19h sur 32h (Se 92%, Sp 86%), et différenciait aussi les HI des autres patients (Se 92%, Sp 81%). Ces résultats offrent des perspectives de recherche intéressantes : mieux caractériser et phénotyper ces patients permettra de mieux comprendre cette hypersomnie rare.
Un nouveau psychostimulant très puissant, le Solriamfétol (JZP-110)
L’intérêt du Solriamfétol (aussi connu sous le nom de JZP-110) comme nouveau traitement de la narcolepsie se confirme. L’article n’est pas encore paru, mais les résultats prometteurs de l’étude de phase 3 ont déjà été présentés à de multiples reprises cette année dans les congrès du sommeil internationaux, suscitant l’enthousiasme des somnologues présents. En effet, de nombreux patients atteints de cette pathologie chronique sont encore à ce jour en échec thérapeutique. Le Solriamfétol est un dérivé de la phénylalanine, un inhibiteur sélectif de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline. L’efficacité de ce traitement sur la somnolence dans la narcolepsie avait déjà été démontrée dans deux études de phases 2. Cette étude de phase 3 confirme l’efficacité et la tolérance de ce médicament, avec un effet majeur, dose-dépendant, à la fois objectif (aux tests de maintien d’éveil) et subjectif (à l’échelle d’Epworth). Une autre étude est aussi sur le point d’être publiée pour l’utilisation de ce traitement dans l’hypersomnolence résiduelle de l’apnée du sommeil. Un symposium sur le sujet est organisé par Jazz Pharmaceuticals pendant le Congrès du Sommeil, vendredi 23 novembre à 12h30.
Étude de phase 3: in review
Études de phase 2 : « Bogan et al. Effect of oral JZP-110 (ADX-N05) treatment on wakefulness and sleepiness in adults with narcolepsy. Sleep Med. 2015 » et « Ruoff et al. Effect of oral JZP-110 (ADX-N05) on wakefulness and sleepiness in adults with narcolepsy: a phase 2b study. Sleep 2016»
L’Oxybate de Sodium, enfin validé comme traitement de la Narcolepsie chez l’enfant
Le gamma-hydroxybutyrate a été synthétisé en 1960 par un médecin neurobiologiste et chirurgien français, le Professeur Henri Laborit, au cours de ses recherches sur les analogues du GABA. Ses propriétés thérapeutiques ont tout d’abord mené à son utilisation en tant qu’adjuvant anesthésique, mais son action sur les symptômes de la narcolepsie est décrite depuis maintenant près de 40 ans. L’oxybate de sodium (Xyrem®) a obtenu l’AMM en 2005 pour la somnolence et les cataplexies chez l’adulte. Ce traitement agit aussi sur la fragmentation du sommeil de nuit, et il permet une perte de poids chez les patients obèses, une condition fréquente dans la narcolepsie. De nombreux enfants narcoleptiques bénéficiaient aussi jusqu’à présent de ce traitement, mais hors AMM. Plus d’une centaine d’enfants atteints de narcolepsie de type 1, âgés de 7 à 16 ans, ont participé à une étude multicentrique internationale, impliquant 5 pays (les États-Unis, la Finlande, la France, l’Italie et les Pays-Bas). Cette étude prospective randomisée en double aveugle, contre placebo, apporte enfin la confirmation aux médecins du sommeil, avec un haut niveau de preuve, que l’oxybate de sodium est efficace et bien toléré dans une population pédiatrique.
Augmentation de la tension artérielle chez les patients narcoleptiques traités par psychostimulants
La perte des neurones à hypocrétine dans la narcolepsie est irréversible, et les patients narcoleptiques doivent prendre tout au long de leur vie des traitements stimulants de la veille. Ces médicaments sont-ils inoffensifs ? Quel est leur effet au long court, notamment sur le système nerveux autonome et le risque cardio-vasculaire ? Quels paramètres faut-il particulièrement surveiller à moyen et long terme? L’équipe de l’Unité des Troubles du Sommeil de Montpellier a analysé le profil tensionnel de patients avec une narcolepsie de type 1 traités versus non-traités, dans une étude publiée en début d’année dans la revue Neurology. Cent soixante patients consécutifs ont participé à cette étude. Ils ont bénéficié d’une polysomnographie et d’une mesure ambulatoire de la pression artérielle sur 24h. Soixante-huit d’entre eux étaient non traités, 54 traités, et 38 ont été évalués à deux reprises, avec et sans traitement. Les patients traités étaient plus âgés et prenaient plus d’antihypertenseurs, ils présentaient une augmentation de la tension artérielle (diastolique) le jour et la nuit. Lorsque les patients étaient comparés à eux-mêmes, la condition traitée était associée à une augmentation de la tension artérielle systolique le jour, et sur les 24 h. Ces résultats nous suggèrent qu’un renforcement du suivi cardiovasculaire est nécessaire chez ces patients potentiellement à risque de maladies cardio-cérébro-vasculaires.
Article « Bonus »
Découverte de biomarqueurs du besoin de sommeil chez le rongeur
Nous devons à deux chercheurs français du début du siècle dernier (Legendre et Piéron, 1912), à la suite d’expériences de privation de sommeil chez le chien, l’hypothèse de l’existence d’« hypnotoxines », facteurs qui s’accumuleraient pendant l’éveil et se dissiperaient pendant le sommeil. Cependant jusqu’à présent, aucun neurotransmetteur ou biomarqueur ne répondait entièrement à ce critère. Cette année, un article publié dans la revue Nature révèle que les mécanismes biochimiques sous-tendant le besoin de sommeil ont été découverts chez des rongeurs, au moyen d’une analyse protéomique quantitative. Technique récente, la protéomique permet, sans a priori, d’établir un catalogue de protéines exprimées dans une cellule, un tissu, ou un organisme entier. Les auteurs de ce papier, une équipe de chercheurs de l’Université de Tsukuba au Japon, ont comparé l’activité biochimique dans le cerveau de souris privées de sommeil, et d’autres souris avec une mutation génétique, judicieusement nommée SLEEPY, qui provoque un besoin accru de sommeil. Les chercheurs ont identifié dans ces 2 conditions la phosphorylation de 80 protéines « SNIPPs » (sleep-need-index phosphoproteines). Le sommeil chez ces rongeurs rendait le processus réversible, avec une alternance des phases de phosphorylation et déphosphorylation de protéines cérébrales cibles. Découverte scientifique majeure, la phosphorylation des SNIPPs serait donc la signature moléculaire du besoin de sommeil.
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