Le Dr Lucie Barateau (CHU Gui de Chaulais, Montpellier) est récipiendaire de la première bourse Perfectionnement en somnologie co-financée par la SFRMS et l’association VESOMM. Cette bourse a pour objectif d’encourager les échanges entre laboratoires de sommeil à des fins de perfectionnement pour la pratique de la médecine du sommeil. Le Dr Barateau a ainsi effectué plusieurs missions au sein du laboratoire de sommeil du CHU de Grenoble afin d’apprendre la technique de la microneurographie du nerf péronier. Le Dr Barateau revient sur cette expérience
1. Le projet
Ce projet est le fruit d’une collaboration entre le CHU de Grenoble, service du Pr Jean-Louis Pépin et du Dr Renaud Tamisier, au Laboratoire d’EFCR et Laboratoire du Sommeil, et l’Unité des Troubles du Sommeil de Montpellier. Il s’agissait d’apprendre à utiliser une technique, la microneurographie du nerf péronier. Cette mesure de l’activité neurale sympathique est largement répandue dans la communauté scientifique cardiovasculaire depuis de nombreuses années, mais reste du domaine de la recherche. L’équipe de Grenoble réalise plusieurs enregistrements de ce type par semaine, et le Dr Tamisier a une grande expertise dans ce domaine.
L’objectif d’apprendre cette technique est de pouvoir ensuite réaliser des mesures chez des patients narcoleptiques, dans le centre de référence national d’étude de cette pathologie de Montpellier. Nous pensons objectiver un dysfonctionnement du système sympathique, plus exactement de la balance sympathico-vagale en sommeil dans la narcolepsie avec cataplexie, du fait de la carence en hypocrétine, en comparant ces patients à un groupe de sujets témoins sains, voire à des patients atteints d’hypersomnie centrale avec un taux d’hypocrétine normal (narcolepsie de type 2 et hypersomnie idiopathique). Ce dysfonctionnement pourrait expliquer le statut de « non-dipper » fréquemment observé chez les patients narcoleptiques. Il a en effet été montré que certains patients narcoleptiques ne diminuent pas leur pression artérielle durant le sommeil. Un suivi longitudinal des patients après mise en place d’un traitement psychostimulant est aussi envisagé. Ceci permettrait de préciser l’évolutivité des paramètres du système sympathique sous traitement.
Il est prévu que le Centre de Grenoble mette à disposition un appareil de mesure pour l’Unité de Sommeil du CHU de Montpellier pour une période d’un an.
2. En pratique
Je me suis rendue à quatre reprises au laboratoire du sommeil de Grenoble (détails des dates en section III), comme me le permettait mon emploi du temps et celui du Dr Tamisier, sur une période d’environ 1 an (soit 14 jours en tout). Au laboratoire du Sommeil de Grenoble, des mesures de microneurographie sont réalisées 1 à 2 fois par semaine (donc pour un ou deux patients par semaine), mais il y a parfois des semaines sans aucun enregistrement. Pour avoir un nombre suffisant de sujets pour m’exercer, j’ai donc fait appel à des amis, étudiants en médecine, qui ont accepté de faire cet examen en tant que sujets témoins sains. Je me suis aussi portée volontaire, le Dr Tamisier a réalisé un enregistrement sur moi-même, enfin il s’est lui aussi porté volontaire.
La microneurographie du nerf péronier mesure l’activité neurale sympathique de ce nerf. Deux fines électrodes sont implantées : l’une sous la peau de la face latérale du genou, l’autre dans le nerf péronier dans la partie postérieure du genou. Les électrodes utilisées sont extrêmement fines (de 100 µm de section) et ne produisent qu’un léger inconfort lors du passage de la peau.
La localisation préalable du nerf péronier se fait par stimulation électrique de celui-ci, le sujet ressent donc les différentes fonctions véhiculées par ce nerf (flexion du pied, sensation cutanée, picotements, chaleur et sensation électrique). Cet examen procure des sensations surprenantes, inhabituelles : fourmillements, dorsiflexion involontaire du gros orteil, crampes modérées. Ces sensations ne sont pas douloureuses au sens strict du terme (selon une échelle entre 0 et 10 où 10 est la douleur maximale imaginable et 0 l’absence de douleur, le sujet ne dépasse pas 5). Une gêne de la partie postérieure du genou peut être ressentie dans les 24 heures suivant la mesure. Cette mesure de l’activité neurale est largement répandue dans la communauté scientifique cardiovasculaire depuis plus de 20 ans et aucun cas de séquelles neurologiques ou locales n’a été rapporté. Il est important de préciser aux patients que plusieurs centaines de mesures ont été réalisées dans des laboratoires de physiologie en France sans aucune conséquence pour les personnes ayant participées. Cet examen est réalisé le matin, à jeun, au calme, en décubitus dorsal.
Voici les grandes étapes du déroulement de l’examen :
- L’installation et la préparation du patient, la prise de tension artérielle (10 minutes),
- La détection du nerf : il s’agit de repérer le trajet anatomique du nerf, son orientation, pour définir le meilleur endroit où sera ensuite introduite l’électrode. Cette étape peut être plus ou moins longue (15 minutes voire plus).
- L’insertion de l’électrode de façon précise pour essayer d’obtenir le meilleur signal possible. C’est la phase la plus délicate, et il arrive que l’expérimentateur échoue à cette étape (20% d’échec). Parfois 30 minutes ou plus peuvent être nécessaires. Il y a deux électrodes par patient : une de référence et une de recueil. Ces électrodes sont à usage unique et sont commandées directement aux Etats – Unis. Le coût pour les 2 est de 30 €. Il arrive parfois qu’une électrode se casse car elles sont extrêmement fines et fragiles.
- Une fois qu’un signal de qualité est obtenu, le temps d’enregistrement est de 5 minutes. Un logiciel spécialisé d’acquisition permet l’enregistrement.
- Retrait des électrodes puis le patient peut partir tout de suite à la fin de l’examen.
- La dernière étape consiste en l’analyse du signal avec un autre logiciel (MATLAB par exemple). Il faut retravailler le signal manuellement, en enlevant le « bruit de fond », et en réglant les mesures par rapport aux battements cardiaques. Le décompte des décharges d’activité sympathique (« bursts ») est fait automatiquement.
Les données analysées sont donc un nombre de bursts par minute, ou pour 100 battements cardiaques.
Photo 1 : Appareil de mesure de microneurographie de Grenoble.
Photo 2 : Dispositif d’enregistrement de microneurographie sur le genou d’un sujet témoin à Grenoble.
3. Conclusion
Je remercie sincèrement la SFRMS de m’avoir attribué cette bourse. Elle a représenté pour moi une opportunité importante, qui m’a permis de développer mes connaissances en neurophysiologie, d’apprendre à utiliser une technique sophistiquée, et de pouvoir l’utiliser ensuite à l’Unité des troubles du sommeil à Montpellier, où je suis maintenant Assistante Hospitalo-Universitaire depuis novembre 2015. De nombreux projets de recherche sont prévus à Montpellier, avec l’utilisation de la microneurographie, dans la narcolepsie mais aussi dans d’autres pathologies du sommeil. Notamment une étude visant à mesurer l’activité sympathique chez les patients souffrant de syndrome des jambes sans repos, permettra de déterminer un éventuel dysfonctionnement sympathique dans cette pathologie, un projet qui débutera très prochainement.
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