Actualités dans les Hypersomnies
Dr Lucie Barateau, Neurologue, Praticien Hospitalier-Universitaire
1 Unité des Troubles du Sommeil et de l’Éveil, Département de Neurologie
Centre de Référence National Narcolepsie, Hypersomnie, CHU Gui de Chauliac, Montpellier
2 UNITE INSERM 1061, CHU La Colombière, Montpellier
Retour sur les principales publications de l’année 2019 dans le domaine des hypersomnies. Une sélection d’articles qui ont marqué l’année dans cette thématique a été présentée dans la session « Actualités » du Congrès, le jeudi 21 novembre à 11H ; en voici les résumés détaillés.
1) De nouveaux critères diagnostiques validés pour la narcolepsie pédiatrique
Chez l’adulte, le diagnostic de narcolepsie de type 1 (NT1) selon l’ICSD-3 (AASM: American Academy of Sleep Medicine, 2014) requiert une polysomnographie (PSG) suivie de tests itératifs de latence d’endormissement (TILE), ou le dosage de l’orexine-A (ORX) dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Les critères actuels sont une latence moyenne d’endormissement au TILE < 8 minutes, ≥ 2 endormissements en sommeil paradoxal (ESP) (un ESP nocturne peut remplacer un ESP au TILE), et des cataplexies ou une déficience en ORX. Chez l’enfant narcoleptique en revanche, aucun critère n’était validé jusqu’alors. Une étude originale publiée dans Neurology a déterminé des nouveaux cut-offs dans cette population.
Objectifs: Valider des marqueurs électrophysiologiques (latence d’endormissement et nombre d’ESP au TILE et à la PSG) pour la NT1 pédiatrique, contre la présence de cataplexie et la déficience en ORX dans le LCR.
Méthodes: Les données cliniques, électrophysiologiques et – pour un sous-groupe – biologiques (présence de l’allèle HLA-DQB1*06:02, taux d’ORX-A dans le LCR) de 357 enfants consécutifs (< 18 ans), évalués pour une suspicion de narcolepsie dans les Unités des Troubles du Sommeil de Bologne (Italie) et de Montpellier (France), ont été collectées. Les meilleurs seuils ont été obtenus par l’analyse de courbes ROC dans le groupe avec taux d’ORX disponible (n=228), en opposant les patients ORX-déficients ou non ; puis ont été confirmés dans le groupe qui n’avait pas eu de ponction lombaire (n=129), contre la présence de cataplexies.
Résultats: Les patients ORX-déficients étaient mieux discriminés par une latence moyenne au TILE ≤ 8.2 minutes (aire sous la courbe ROC 0.985), ou par la présence d’au moins 2 ESP au TILE (aire sous la courbe ROC 0.975), ou par la combinaison de la PSG et du TILE (aire sous la courbe ROC 0.977). Bien que la spécificité et la sensibilité des critères de référence chez l’adulte (latence moyenne ≤ 8 min et ≥ 2 ESP – incluant l’ESP nocturne) étaient de 100% et 94.87%, la combinaison des 2 critères n’améliorait pas la précision du diagnostic. L’âge et le sexe n’influençaient pas les résultats dans cette population pédiatrique.
Conclusion: 2 ESP ou une latence moyenne ≤ 8.2 minutes au TILE sont des marqueurs valides et fiables pour le diagnostic de la NT1 pédiatrique, contrastant avec les critères connus chez l’adulte.
Article : Pizza F, Barateau L, Jaussent I, Vandi S, Antelmi E, Mignot E, et al. Validation of Multiple Sleep Latency Test for the diagnosis of pediatric narcolepsy type 1. Neurology 2019
2) Dosage de l’orexine dans le LCR par deux techniques différentes : que mesure-t-on exactement ?
La narcolepsie de type 1 (NT1) est due à la destruction des neurones à orexine-A (ORX)/hypocrétine-1 de l’hypothalamus, et le dosage de l’ORX dans le LCR est bien établi comme gold standard du diagnostic de NT1. Cependant, 10% des patients narcoleptiques avec cataplexie et 80 – 90% des patients narcoleptiques sans cataplexie ont des taux normaux d’ORX. Dans cette étude, des chercheurs de l’Université de Stanford ont étudié la dégradation peptidique de l’ORX-A dans le LCR, en utilisant une technique dechromatographie liquide à haute performance (HPLC) suivie du dosage radio-immunologique (RIA), habituellement utilisé. Les échantillons étaient ceux de témoins sains, de patients narcoleptiques avec cataplexie ORX-déficients (NT1), de narcoleptiques avec cataplexie non ORX-déficients, et de narcoleptiques sans cataplexie non ORX-déficients (NT2). Les auteurs ont découvert que la réactivité immunologique dans le LCR extrait était liée à des pics « non-authentiques » d’ORX-A, probablement des métabolites inactifs, et que le neuropeptide intact représentait moins de 10% de la somme totale de pics. Ces résultats suggèrent que le dosage habituel par RIA mesurerait les métabolites dégradés de l’ORX-A, et non le peptide intact. De façon attendue, tous les pics d’ORX-A étaient abolis dans la NT1. Les chercheurs ont aussi montré que la somme des pics « authentiques » d’ORX-A (pics 3 et 4) diminuait significativement chez les patients narcoleptiques avec cataplexie non ORX-déficients, et avait tendance à diminuer chez les patients NT2. L’immuno-réactivité des métabolites « non-authentiques » d’ORX-A pourrait donc masquer une diminution de ORX-A authentique, causée par une destruction partielle des neurones. Ces résultats apportent un éclairage nouveau à la compréhension de la physiopathologie de la narcolepsie, notamment de type 2, et ouvrent des pistes de recherche prometteuses pour cette pathologie encore largement méconnue.
Article : Sakai N, Matsumura M, Lin L, Mignot E, Nishino S. HPLC analysis of CSF hypocretin-1 in type 1 and 2 narcolepsy. Sci Rep 2019; 9: 477.
3) Une échelle pour évaluer la sévérité des symptômes dans l’Hypersomnie Idiopathique
Dans un article publié cette année dans Neurology, l’Idiopathic Hypersomnia Severity Scale (IHSS), un auto-questionnaire évaluant la sévérité des principaux symptômes de l’hypersomnie idiopathique (HI) a été validé. Si les connaissances progressent très vite dans le domaine de la narcolepsie, l’HI reste une maladie orpheline encore largement méconnue. Cette hypersomnie centrale est caractérisée par trois principaux symptômes : une somnolence diurne excessive (SDE), un allongement du temps de sommeil de nuit, et une inertie (une difficulté à s’éveiller, le matin et lors les siestes). La SDE est aussi fréquemment retrouvé en population générale, et des outils psychométriques comme l’échelle de somnolence d’Epworth, largement utilisée en pratique clinique, ont été développés pour évaluer sa sévérité. Cependant il manquait jusqu’à présent un instrument spécifique qui permette l’évaluation des différents symptômes de l’HI. L’IHSS est une échelle à 14 items, qui évalue le sommeil de nuit et l’inertie le matin (5 items), la SDE et l’inertie après les accès de sommeil diurnes (4 items), et l’altération des activités de la vie quotidienne en lien avec l’hypersomnolence (5 items). Le score total est entre 0 et 50, les scores les plus élevés reflétant des symptômes plus sévères et plus fréquents. Les propriétés psychométriques de l’échelle, ses performances diagnostiques, et les changements de score sous traitement psychostimulant ont été testés dans une cohorte de 210 participants du Centre de Référence National Narcolepsie – Hypersomnie en France. L’IHSS est un outil fiable et reproductible pour la quantification des symptômes de l’HI et leurs conséquences. Ce questionnaire sera utile en clinique et en recherche, pour l’identification, le suivi et la prise en charge des patients atteints de cette maladie rare.
Article :Dauvilliers Y, Evangelista E, Barateau L, Lopez R, Chenini S, Delbos C, et al. Measurement of symptoms in idiopathic hypersomnia: The Idiopathic Hypersomnia Severity Scale. Neurology 2019.
https://eprovide.mapi-trust.org/instruments/idiopathic-hypersomnia-severity-scale
4) Un nouvel agoniste de l’orexine testé pour la 1ère fois chez l’homme
L’action des orexine-A et B (ou hypocrétine-1 et 2) est médiée par 2 récepteurs couplés aux protéines G, qui ont une distribution diffuse dans le système nerveux central ; le rôle de l’ORX dans l’éveil étant principalement médié par le récepteur 2. Du fait de sa physiopathologie, les thérapies à base d’orexine semblent être les thérapies d’avenir de la NT1, mais ce neuropeptide ne passe pas la barrière hémato-encéphalique. Des données préliminaires ont été présentées au World Sleep Congressà Vancouver en septembre cette année, démontrant les premiers signes d’efficacité du TAK-925, un agoniste sélectif non peptidique des récepteurs de l’orexine de type 2, chez des patients atteints de NT1 et chez des adultes sains en condition de privation de sommeil. Ces 1èresétudes de validation de principe ont montré que ce traitement, administré en IV, était bien toléré et qu’il augmentait l’éveil en comparaison au placebo (sur la latence d’endormissement au test de maintien d’éveil), avec un effet-dose majeur.Ces résultats très prometteurs ont suscité l’enthousiasme des médecins du sommeil, car ils ouvrent aussi des perspectives pour l’utilisation de ces agonistes dans d’autres troubles avec somnolence diurne excessive, comme la NT2, l’HI, voire la SDE résiduelle dans l’apnée obstructive du sommeil.
Étude de Phase 1 : résultats présentés en communication orale au World Sleep Congress, Vancouver, Sept 2019
Article : Yukitake H, Fujimoto T, Ishikawa T, Suzuki A, Shimizu Y, Rikimaru K, et al. TAK-925, an orexin 2 receptor-selective agonist, shows robust wake-promoting effects in mice. Pharmacol Biochem Behav 2019;187:172794
5) Pour finir, trois autres articles parus dans des grandes revues ont été mentionnés brièvement.
– Dans un article publié dans Nature Communications, un algorithme d’intelligence artificielle a permis de différencier les NT1 d’autres patients, uniquement sur le scoring automatisé de leur sommeil de nuit. Dans cette étude multicentrique les auteurs ont analysé plus de 3000 polysomnographies (PSG), dont une centaine de PSG de narcoleptiques de type 1.
Article : Stephansen JB, Olesen AN, Olsen M, Ambati A, Leary EB, Moore HE, et al. Neural network analysis of sleep stages enables efficient diagnosis of narcolepsy. Nat Commun 2018;9:5229
– Les études de phase 3 pour le Solriamfetol, nouveau psychostimulant, ont démontré l’efficacité et la tolérance de ce traitement sur la somnolence dans la narcolepsie (type 1 et 2), et résiduelle après prise en charge du syndrome d’apnée du sommeil. Cette molécule est un dérivé de la phénylalanine, un inhibiteur sélectif de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline. Ces études confirment l’effet de ce médicament, à la fois objectif (aux tests de maintien d’éveil) et subjectif (à l’échelle d’Epworth).
Articles:Thorpy MJ, Shapiro C, Mayer G, Corser BC, Emsellem H, Plazzi G, et al. A randomized study of solriamfetol for excessive sleepiness in narcolepsy. Ann Neurol 2019;
85: 359–370; Strollo Jr PJ, Hedner J, Collop N, Lorch Jr DG, Chen D, Carter LP, et al. Solriamfetol for the Treatment of Excessive Sleepiness in OSA: A Placebo-Controlled Randomized Withdrawal Study. Chest 2018
– Enfin une étude a montré que les patients narcoleptiques avaient un fort potentiel de créativité, qui, selon une hypothèse des auteurs, pourrait être en lien avec la dysrégulation du sommeil paradoxal observée dans cette pathologie.
Article : Lacaux C, Izabelle C, Santantonio G, De Villèle L, Frain J, Lubart T, et al. Increased creative thinking in narcolepsy. Brain J Neurol 2019
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